La formation en alphabétisation vise le développement des compétences en lecture, en écriture et en calcul nécessaires pour participer pleinement à la société. Sur le marché du travail, la littératie, la numératie et les compétences numériques peuvent permettre aux individus de mieux accomplir leurs tâches professionnelles, de progresser en emploi ou encore d’avoir accès à une plus grande variété d’emplois (par exemple, avec de meilleures conditions de travail ou plus en lien avec leurs aspirations). Plusieurs études font également un lien entre ces compétences et la capacité des travailleurs et travailleuses à apprendre de nouvelles compétences liées à leurs tâches ou au virage numérique.
Savoie et Gaudet s’intéressent plus particulièrement à l’impact de la formation en alphabétisation chez les femmes peu scolarisées des régions rurales au Nouveau-Brunswick. Les autrices ont cherché à savoir de quelle manière le rapport au travail des femmes qui ont suivi un programme d’alphabétisation a évolué. Leur recherche prend un angle d’analyse féministe, c’est-à-dire qu’elle considère que les rapports sociaux conditionnent la manière donc les femmes se perçoivent en société.
Les autrices ont d’abord voulu rappeler que les constructions sociales et culturelles du genre affectent grandement la façon dont les femmes intègrent le marché du travail. Dès l’enfance et même tout au long du parcours scolaire, des modèles et des comportements sont imposés aux enfants, de sorte qu’ils et elles internalisent des normes et des façons de faire en fonction de leur genre. Ces distinctions de genre se répercutent aussi sur le développement de carrière et sur marché du travail, alors que plusieurs femmes sont portées à se diriger vers les emplois liés aux soins et à la relation d’aide, car elles ont internalisé que ce type de métier est « intrinsèque » à la « nature féminine ».
En utilisant l’approche des récits de vie, Savoie et Gaudet ont interrogé 12 femmes sur leur parcours de vie et sur leur expérience d’alphabétisation. Âgées entre 21 et 75 ans, ces femmes avaient terminé une formation d’alphabétisation depuis plus d’un an dans une région acadienne du Nouveau-Brunswick. L’analyse des 12 récits de vie a été présentée en deux parties, soit le rapport à l’emploi des femmes avant et après la formation.
Avant la formation, les femmes exerçaient presque toutes des emplois traditionnellement féminins. Ces emplois demandaient des compétences qu’elles avaient acquises dans la sphère domestique, ce pourquoi elles ont pu les obtenir. Les femmes naviguaient entre le travail de soin, d’usine ou de service à la clientèle – plus souvent qu’autrement dans des conditions précaires.
Les femmes de l’étude ont ainsi choisi l’alphabétisation comme moyen de transformer leur vie et d’améliorer leurs conditions matérielles. Après la formation, la plupart d’entre elles ont exprimé se sentir désormais plus autonomes, indépendantes et confiantes de trouver un emploi qui les satisfasse. Cependant, les autrices constatent que le type de travail effectué avant et après la formation n’a pas vraiment changé. À titre d’exemple, une participante a mentionné ne pas vouloir changer d’emploi (travail domestique en maison privée), soulignant qu’elle sent valorisée et appréciée dans ce travail. Les participantes semblent donc orienter leurs conduites et leurs pratiques sociales en fonction de ce qu’elles ont apprise durant leur parcours de vie socialement genré. De ce fait, la formation en alphabétisation n’a pas réellement changé le type d’emploi occupé par les participantes. Néanmoins, le développement de la littératie a permis aux femmes de se découvrir, de se développer et de sortir de leur milieu familial. L’alphabétisation reste ainsi une bonne façon d’acquérir de l’autonomie et de se doter de moyens concrets pour naviguer sur un marché du travail en constante évolution. Les PDC peuvent aussi y contribuer en référant leurs personnes clientes peu alphabétisées vers des ressources en littératie et en les encourageant tout au long de leur formation.
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