La recherche en santé et sécurité au travail intègre de plus en plus d’interventions et de résultats qui se recoupent avec ceux qui intéressent le domaine du développement de carrière. L’étude de Van Eerde et collab. sur la planification et le bien-être du personnel illustre cette tendance. L’équipe de recherche savait déjà que les personnes qui peuvent « se déconnecter » du travail à la fin de la journée éprouvent un plus grand bien-être, une plus grande satisfaction générale, moins d’épuisement émotionnel et moins de symptômes de stress psychologique (comme le manque de sommeil et la fatigue) par rapport à celles qui ne le peuvent pas. Elle savait également qu’il existe des interventions (p. ex., la pleine conscience, le bénévolat) pour aider les employé·es à se détacher du travail à la fin de la journée.
Une intervention souvent recommandée, mais peu étudiée, est la planification comportementale, c’est-à-dire l’élaboration de plans pour le lendemain ou les jours suivants. Le but de cette méthode est de fixer des objectifs pour le lendemain ou de dresser une liste de tâches à accomplir à la fin de la journée de travail de façon à transférer ses préoccupations vers la liste. Toutefois, Van Eerde et collab. ont noté que certaines recherches ont démontré que de se fixer des objectifs peut conduire à une augmentation de la rumination plutôt qu’à une diminution. C’est à ce moment que l’idée d’« implanter ses intentions » (p. ex., spécifier non seulement des objectifs, mais aussi préciser comment, où et quand les atteindre) pour calmer les esprits agités a pris forme. Deux autres notions sont venues compliquer les choses. Qu’en est-il des personnes qui ont tendance à planifier? Van Eerde et collab. ont estimé que l’implémentation des intentions ne les aiderait pas a) à se détacher du travail b) ni à ressentir moins de fatigue le lendemain, car leur esprit est déjà en train de fixer des objectifs et de planifier.
Van Eerde et collab. ont étudié 114 personnes salariées à temps plein sans horaire de travail fixe, réparties de manière aléatoire dans trois groupes (contrôle, fixation d’objectifs uniquement, implémentation des intentions). Après leur avoir donné des instructions sur ce qu’elles devaient faire et avoir évalué leur tendance à planifier, elles ont été sondées sur deux variables clés du bien-être sur une période de deux semaines : le détachement et la fatigue. [1]
Presque aucun des résultats n’a confirmé les hypothèses des chercheur·euses. Dans l’ensemble, ni la fixation d’objectifs ni l’implémentation des intentions n’ont permis un détachement plus marqué vis-à-vis du travail ou moins de fatigue que le fait de ne rien faire. Le seul facteur prédictif d’un détachement plus marqué s’est avéré être la tendance des employé·es à planifier. Deux résultats ont même été contraires aux attentes :
- Les personnes ayant une faible tendance à planifier n’ont pas réussi à mieux se détacher du travail grâce à la fixation d’objectifs ou à l’implémentation des intentions, alors que les personnes ayant un score élevé en matière de planification ont bel et bien tiré un avantage de l’implémentation des intentions. En d’autres termes, les personnes « adeptes de la planification » se détachent encore mieux du travail lorsqu’elles implantent leurs intentions.
- Parallèlement à cette constatation, l’augmentation du détachement a entraîné une diminution de la fatigue le lendemain, et ce, davantage chez les personnes « non adeptes de planification » que chez celles « adeptes de planification ».
Les praticien·nes peuvent retirer beaucoup d’éléments de cette étude. Trois d’entre eux sont mis en évidence ici, les deux premiers portant sur la science en tant que processus :
- Quelqu’un affirme que l’intervention X ou Y fonctionne, d’autres commencent à l’utiliser, et bientôt le tout le monde se dit : « cette méthode doit être efficace, car tout le monde l’utilise ». L’étude de Van Eerde et collab. est un véritable test d’interventions dans le cadre duquel des hypothèses sont examinées à la loupe.
- Lorsque la possibilité des différences individuelles est utilisée pour distinguer des résultats généraux (p. ex., la planification est utile pour certaines personnes), de nouveaux résultats plus utiles émergent pratiquement toujours.
- Il est toujours important de garder en tête les preuves scientifiques d’une intervention ET de tenir compte de la nature et des circonstances uniques de la personne à qui l’on s’adresse.
[1] Dans le cadre de cette étude, la fatigue est définie comme un état psychologique caractérisé par un faible niveau d’énergie et un manque de motivation à fournir des efforts supplémentaires.
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